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Armel est venu nous parler du travail et de sa crise
Vendredi 6 mai//67 mars à 14h. Un enregistrement audio est disponible en bas de page. Le travail, c'est quoi ? Tout d'abord, comme concept, ça vient de tripalium, un instrument de torture des esc...
https://educpopdebout.org/2016/05/06/armel-est-venu-nous-parler-du-travail-et-de-sa-crise/
L'enregistrement audio
Le travail, c’est quoi ? Tout d’abord, comme concept, ça vient de tripalium, un instrument de torture des esclaves fugitifs, en latin. En réalité, aujourd’hui, c’est au pire (et souvent) des boulots de merde, des activités inintéressantes, dégradantes, dangereuses et/ou exténuantes, des discriminations, des intrusions dans notre vie privée, de l’isolement, des humiliations, du harcèlement, du stress, du chantage, des menaces, des troubles musculo-squelettiques, des accidents de travail, des licenciements brutaux, des dépressions, des burn-out, des suicides[1], et au mieux des activités en elles-mêmes épanouissantes lorsqu’elles sont pratiquées pour satisfaire nos besoins ou ceux de nos proches, comme l’artisanat ou l’agriculture biologique, mais stressantes, précaires, contraintes par des exigences de rentabilité, de productivité, de compétitivité lorsqu’elles constituent notre travail – il suffit de penser l’écart entre un jardinier épanoui faisant son potager avec lequel il se nourrit avec ses proches et un agriculteur ultra-pressurisé, endetté, travaillant comme un dingue. Et au cours des soi-disant 30 Glorieuses, ne croyons pas que c’était mieux : c’étaient des femmes au foyer surexploitées (elles bossaient gratuitement 46 milliards d’heures en 1955, contre 45 milliards d’heures de travail salarié[2] – ce n’est guère mieux aujourd’hui), 40 heures de travail hebdomadaire, des millions d’ouvriers exploités dans des conditions éprouvantes, des millions de colonisés surexploités au sein des colonies françaises, de nombreux accidents du travail industriel... et c’est d’ailleurs contre ce travail, contre le travail qu’on s’est révolté en Mai 68[3], dans « l’Autonomie » italienne des années 1970[4] ou en Aragon et en Catalogne en 1936-1937[5].
Le travail, c’est quoi, plus précisément ? La « forme moderne de l’activité », propre au capitalisme, nous dit Marx[6], dans lequel nous sommes contraints de vendre notre activité comme marchandise productrice de marchandises et donc d’argent, de valeur, sous peine de misère sociale. Le travail, c’est ainsi un « marchandage de soi », selon Marx. Le travail, de trepalium souvenez-vous, c’est « l’activité non-libre » disait Marx, l’activité de ceux qu’on a contraints à se torturer dans une activité-marchandise, à être des esclaves de l’argent, du capital, du Marché libéral ou du Marché planifié (en URSS), c’est-à-dire du capitalisme (et par-là de l’État[7], lequel prélève une partie du travail sous forme d’impôts et de taxes). Nous avons été contraints au travail parce que contraints de payer des impôts, des taxes, des rentes foncières (c’est l’histoire de l’appropriation capitaliste des terres communes ou paysannes et de l’extorsion fiscale de l’État[8]) ; nous avons été contraints au travail parce que dépossédés de nos moyens de production autonomes (c’est l’histoire de l’expropriation des paysans depuis des siècles, des enclosures[9] en Angleterre et du land grabbing aujourd’hui) ; enfin, nous avons été contraints au travail parce que dépossédés de toute possibilité de s’auto-organiser collectivement pour satisfaire directement nos besoins (c’est l’histoire de l’État, de son démantèlement des communes paysannes, de sa répression sanglante des multiples tentatives de construction de communes auto-organisées, y compris en URSS[10]).
Le travail, c’est donc être exploité ou s’auto-exploiter pour produire des marchandises (y compris des « services ») pour dégager de l’argent et ainsi survivre économiquement et donc matériellement. Le travail, c’est une aliénation au sens de Marx[11], concept signifiant « être dépossédé de soi » (au profit d’une fonction de réparation, d’encaissage ou encore de balayage, par exemple) et surtout « se vendre » (on dit en français qu’on « aliène un bien » lorsqu’on vend celui-ci et donc qu’on s’en sépare, donc on aliène son activité lorsqu’on travaille). Le travail, c’est une réification[12], une chosification (rei en latin signifie chose), une transformation de soi comme chose, comme chose productrice de marchandises et d’argent, comme chose réparante, encaissante, balayante ou autre, comme robot (ça veut dire travailleur, en tchèque), comme « machine vivante » disait Montchrestien, l’inventeur moderne du mot « économie ». Le travail, c’est une « prostitution généralisée du travailleur » comme dit Marx, qu’il s’agisse de prostituer son cerveau d’ingénieur, sa voix dans un call center, ses bras d’ouvriers ou son corps sexuel, et ce à son voisin ou à un patron, avec ou sans mac’. Le travail, c’est l’éternel retour d’une activité contrainte, avec comme récompense une consommation misérable de marchandises sans qualités.
Mais cette activité-marchandise, ce travail, cette torture ou (au mieux) cette dégradation asservissante d’activités sinon épanouissantes, est en plus en train d’être toujours moins nécessaire au processus de production capitaliste, remplacé par des machines, des nouvelles technologies et des robots, au point qu’on parle de « chômage technologique » et de « chômage structurel » depuis plus de 30 ans, mais surtout qu’on projette une automatisation d’au moins 48 % des emplois d’ici 2030 (même dans l’usine Foxconn et ses ouvriers sous-payés, soumis à une discipline infernale provoquant de nombreux suicides, on envisage de remplacer 300 000 ouvriers par des robots d’ici 15 ans), dynamique plongeant un nombre toujours croissant d’entre nous dans une misère sociale, au point que même Pierre Bellanger, patron de Skyrock, nous annonce que d’ici 2030-2040, « une majorité, substituée par [d]es automates, forme[ra] une subsociété effondrée », comme on voit dans une série d’Arte intitulée Trepalium[13]. Et il ne s’agit pas là d’un complot, simplement l’ensemble des entreprises pour survivre économiquement doivent être toujours plus productives et diminuer leurs coûts au maximum, surtout lorsqu’il y a une saturation des marchés. Mais cette technologisation du procès de production a d’autres effets : d’une part nous rend moins rentables relativement aux machines, donc le prix de notre activité-marchandise diminue (ou on délocalise à un endroit où l’activité-marchandise coûte moins cher, ce qui revient au même), et donc on est précarisé ou notre travail délocalisé, et d’autre part cette technologisation accélère le rythme de production, jusqu’à un rythme infernal, insoutenable, épuisant comme aujourd’hui. Le pire, c’est qu’alors qu’aujourd’hui on touche encore un misérable RSA de 400 euros lorsqu’on ne travaille pas, l’élimination progressive des travailleurs et leur baisse de salaire entraîne du coup une baisse de consommation globale, laquelle entraîne sous peine de non-rentabilité des entreprises une nouvelle élimination de travailleurs et des nouvelles baisses de salaires, donc une nouvelle baisse de consommation globale, et cela ad nauseam jusqu’à un chômage généralisé, entraînant une crise structurelle du capitalisme[14] s’approfondissant toujours davantage, mais masquée par des injections massives de crédit pour investir et de crédit pour consommer, crédits qui doivent cependant être remboursés et qui sont de toujours moins remboursés, comme aux États-Unis en 2007 avec les fameux subprimes, précipitant de gigantesques phases de crises où des milliers de milliards d’euros disparaissent en fumée, et avec un endettement toujours croissant des États pour relancer l’économie et au bout du compte une faillite prévisible de ceux-ci, mettant fin du même coup aux aides sociales. Le travail est en train de devenir inutile pour l’économie, non-rentable, et en plus de devenir toujours plus des chômeurs ou des précarisés, l’économie comme l’État sont toujours davantage en crise – et nous avec.
Il est donc temps de nous libérer du capitalisme et de sa crise, de libérer notre activité du travail et de sa crise, et non pas de nous enchaîner à une mesure provisoire de misère augmentée appelée « revenu minimum universel » de 800 euros actuellement testé en Finlande néolibérale par une coalition de droite et d’extrême-droite – même si cela pourra évidemment nous aider provisoirement, à condition d’en faire un objectif secondaire –, ni de faire une révolution pour un « salariat universel » de 1500 euros, improbable parce qu’il faudra le financer alors que nous sommes en crise, et d’ailleurs toujours asservissant puisqu’il s’agira toujours de travailler (même comme fonctionnaire), de produire des marchandises et de l’argent pour un Marché et pour un État vorace et structurellement autoritaire[15], ou quelque autre proposition non-émancipatrice et peu réaliste de l’altercapitalisme ambiant. Il s’agirait au contraire mais de tendre vers une société de communes librement fédérées, auto-organisées en « démocratie directe » (donc débarrassées de l’État), après réappropriation des champs des grands propriétaires et des autres infrastructures collectives, où nous satisferions nos besoins collectivement, après avoir définis nos besoins (et donc nos activités) collectivement (faire ensemble des récoltes, des maisons, des ateliers, p.e.), et après avoir définis collectivement une répartition des produits de nos activités, idéalement en fonction des besoins de chacun - et non de sa productivité individuelle. Une ébauche de cette société de communes librement fédérées, auto-organisées, et d’une activité collective libérée du travail, de l’argent, du Marché et de l’État au profit d’une satisfaction collective des besoins, a déjà eu lieu en Aragon en 1936-1937 (on pourra donner davantage de détails lors du débat), et ce avant d’être écrasée brutalement par un État Républicain et son armée marxiste-léniniste[16]. Tachons de faire au moins aussi bien qu’eux puisque c’est possible.
Bibliographie-webographie principale :
Groupe Krisis, Manifeste contre le travail, Paris, Léo Scheer, 2002.
Anselm Jappe, Les aventures de la marchandise, Paris, Denoël, 2003.
http://sortirducapitalisme.fr/145-critique-radicale-du-projet-de-reforme-du-code-du-travail-de-l-organisation-neocapitaliste-du-travail-et-du-travail-capitaliste-en-crise-avec-jean-luc-debry-08-03-2016
http://sortirducapitalisme.fr/146-sortir-du-travail-marchandise-ou-barbarie-avec-jose-chatroussat-traducteur-de-crack-capitalism-29-03-2016
[1] Là-dessus, on regardera Attention danger travail et on écoutera http://sortirducapitalisme.fr/145-critique-radicale-du-projet-de-reforme-du-code-du-travail-de-l-organisation-neocapitaliste-du-travail-et-du-travail-capitaliste-en-crise-avec-jean-luc-debry-08-03-2016
[2] Christine Delphy, L’ennemi principal, économie politique du patriarcat, Paris, Syllepse, 1998.
[3] Anselm Jappe, Guy Debord, Paris, Denoël, 2000.
[4] Marcello Tari, Autonomie ! : Italie, les années 1970, Paris, La Fabrique, 2011.
[5] Les Giménologues, A Zaragoza o al charco !, Paris, L’insomniaque, 2016 et Les Giménologues, Les Fils de la Nuit, Paris, Libertalia, 2016 (gimenologues.org).
[6] Karl Marx, L’idéologie allemande, Paris, Éditions sociales, 2012.
[7] http://www.palim-psao.fr/article-34526634.html
[8] http://www.palim-psao.fr/article-pour-une-theorie-de-l-etat-et-du-politique-dans-la-societe-capitaliste-marchande-par-clement-ho-112069874.html
[9] Karl Marx, Le Capital. Livre 1, Paris, PUF, 1983.
[10] Voline, La révolution inconnue, 1917-1921, Paris, Pierre Belfond, 1969.
[11] Karl Marx, Manuscrits de 1844, Paris, Éditions sociales, 1972.
[12] Collectif, La réification. Histoire et actualité d’un concept critique, Paris, La Dispute, 2014.
[13] http://pensee-radicale-en-construction.overblog.com/2016/03/l-avenir-du-travail-trepalium.html
[14] Ernst Lohoff et Norbert Trenkle, La Grande Dévalorisation, Paris, Post-éditions, 2014.
[15] http://pensee-radicale-en-construction.overblog.com/2016/03/critique-de-bernard-friot-palim-psao-tantquil-alain-bihr.html